la guerre des trois pôles

Publié le 27 Avril 2008


Bonjour à tous


Mercredi dernier, en visitant l'exposition "Babylone" au musée du Louvre, je n'ai pu m'empêcher de faire le lien entre la disparition de cette civilisation antique et la fin annoncée de l'impérialisme américain. Si un texte récent a le mérite de résumer mon idée sur la question, c'est bien celui du politologue Parag Khanna paru dans Courrier International du 10 avril dernier. Jamais texte n'a mieux résumé à mon avis le contexte actuel international et l'avenir géostratégique de notre petite planète, à part peut-être le livre d'Emmanuel Todd "Après l'empire" paru en 2002. C'est pourquoi je retranscris le texte intégralement en insérant pour chaque idée le lien vers un des articles déjà publiés sur ce blog :


"L’hyperpuissance américaine, c’est fini - La guerre des trois pôles :


Nous sommes en 2016. Le gouvernement de Hillary Clinton (ou de John McCain ou de Barack Obama) arrive à la fin de son second mandat. Les Etats-Unis se sont retirés d’Irak, mais ont quelque 20 000 soldats postés dans l’Etat indépendant du Kurdistan, ainsi que des navires de guerre mouillant à Bahreïn et une présence aérienne au Qatar. L’Afghanistan est stable, l’Iran a l’arme nucléaire. La Chine a absorbé Taïwan et intensifie progressivement sa présence navale dans tout le Pacifique, ainsi qu’en mer d’Oman à partir du port pakistanais de Gwadar. L’Union européenne compte plus de 30 membres et dispose d’approvisionnements sécurisés en pétrole et en gaz d’Afrique du Nord, de Russie et de la mer Caspienne, ainsi que d’un bon parc de centrales nucléaires. L’influence des Etats-Unis dans le monde ne cesse de faiblir.
Comment est-ce possible ? Ne devions-nous pas renouer les liens avec les Nations unies et réaffirmer au monde que l’Amérique peut et doit prendre en main la destinée planétaire au nom de la sécurité et de la prospérité de tous ? Que l’image des Etats-Unis s’améliore (ou non) ne change pas grand-chose. Aujourd’hui, Condoleezza Rice assure que l’Amérique n’a pas d’“ennemis permanents”, mais elle n’a pas non plus d’amis permanents. Beaucoup ont vu dans les invasions de l’Afghanistan et de l’Irak autant de symboles de l’impérialisme mondial de Washington : il fallait en fait y voir les signes d’un surmenage impérialiste. Les dépenses engagées ont affaibli les forces armées américaines (http://tontondaniel.over-blog.com/article-17919592.html), et toutes les démonstrations de force ont aiguillonné la résistance sous la forme de réseaux terroristes, de groupes insurgés et d’attaques “asymétriques” du type attentats suicides. Le monde unipolaire a vécu et un nouvel ordre mondial apparaît déjà. Le président américain – qu’il se nomme Clinton, McCain ou Obama – ne pourra guère contrer son essor.


Une faiblesse face aux autres superpuissances mondiales


Au mieux, l’ère unipolaire sous hégémonie américaine aura duré tout au long des années 1990, même si ce fut également une décennie à la dérive. Les “dividendes de la paix” de l’après-guerre froide [selon la formule popularisée par Bush père et Margaret Thatcher au début des années 1990, qui faisait allusion aux bénéfices induits par la réduction des dépenses de défense] ne se sont jamais traduits par l’instauration d’un ordre mondial libéral sous l’égide des Etats-Unis. Et aujourd’hui, au lieu de dominer le monde, nous nous battons (et nous perdons) face aux autres superpuissances mondiales : l’Union européenne (http://tontondaniel.over-blog.com/article-6137098.html) et la Chine. Car tels sont les trois Grands de la géopolitique du XXIe siècle : pas la Russie, vaste étendue en voie de dépeuplement rapide, gérée par Gazprom.gov (http://tontondaniel.over-blog.com/article-4399541.html); ni cet Islam incohérent embourbé dans des guerres intestines (http://tontondaniel.over-blog.com/article-6810476.html - http://tontondaniel.over-blog.com/article-5742756.html - http://tontondaniel.over-blog.com/article-5747441.html); ni l’Inde, qui a plusieurs dizaines d’années de retard sur la Chine, tant en termes de développement que d’appétit stratégique. Les trois Grands édictent les règles – leurs règles – sans qu’aucun d’eux domine. Pour la première fois de notre histoire, nous assistons à une bataille mondiale multipolaire mettant en jeu plusieurs civilisations.
Le marché européen est le plus vaste du monde, les technologies européennes sont de plus en plus celles qui font référence, et les pays européens sont les plus gros contributeurs à l’aide au développement. Si les Etats-Unis et la Chine s’affrontent, les capitaux de la planète se retrouveront en toute sécurité dans les banques européennes. Lors de la mise en place de l’euro (http://tontondaniel.over-blog.com/article-17594248.html - http://tontondaniel.over-blog.com/article-13098422.html), beaucoup d’Américains ricanaient, affirmant que c’était aller trop loin et que le projet européen ne s’en relèverait pas. Or aujourd’hui, les exportateurs de pétrole du golfe Arabo-Persique achètent des euros pour diversifier leurs actifs en devises, tandis que le président de l’Iran, Mahmoud Ahmadinejad, propose que l’OPEP, pour fixer le cours du brut, abandonne le dollar, cette monnaie “sans valeur”. Et le Vénézuélien Hugo Chávez suggère son remplacement par la monnaie européenne.


L’influence de l’Europe croît au détriment de l’Amérique


Tandis que Washington s’essaie maladroitement à l’exportation de la démocratie, l’Europe investit son argent et son capital politique pour attirer des pays périphériques dans son orbite. Nombre de régions pauvres prennent conscience que leur rêve est européen, et non américain (http://tontondaniel.over-blog.com/article-14020769.html). Les militants du Moyen-Orient veulent la démocratie parlementaire à l’européenne, et non l’autorité présidentielle de l’homme fort à l’américaine (http://tontondaniel.over-blog.com/article-4473502.html). Parmi les étudiants étrangers dont nous n’avons pas voulu au lendemain du 11 septembre [2001], beaucoup sont désormais à Londres ou à Berlin : il y a deux fois plus d’étudiants chinois en Europe qu’aux Etats-Unis.


Comme le montre l’East Asian Community [la Communauté d’Asie de l’Est], la Chine est bien trop occupée à redevenir l’empire du Milieu aux yeux de la planète entière pour se laisser distraire par ces troubles au Moyen-Orient qui préoccupent tant les Etats-Unis. Sur le continent américain lui-même, du Canada à Cuba, en passant par le Venezuela de Chávez, la Chine conclut des accords colossaux en termes de ressources et d’investissements. Dans le monde entier, Pékin déploie par dizaines de milliers ses ingénieurs, ses travailleurs humanitaires, ses architectes de barrages hydrauliques et ses militaires en mission clandestine.
En Afrique, la Chine ne se contente pas d’assurer son approvisionnement en énergie (http://tontondaniel.over-blog.com/article-6389673.html - http://tontondaniel.over-blog.com/article-6431832.html) : elle procède aussi à d’importants investissements stratégiques dans le secteur financier. Tous les pays du monde qualifiés d’Etats voyous par Washington jouissent désormais d’un filet de sécurité diplomatique, économique ou stratégique grâce à la Chine. L’exemple le plus notable en est l’Iran.
Comme les Européens, les Asiatiques s’emploient à s’endurcir contre les incertitudes économiques américaines. Sous l’égide du Japon, ils envisagent de mettre en place leur propre Fonds monétaire régional, tandis que la Chine fait des coupes claires dans ses barrières douanières et augmente ses prêts à ses voisins du Sud-Est asiatique. Le commerce dans le triangle Inde-Japon-Australie (au centre duquel se trouve la Chine) dépasse désormais le volume des échanges transpacifiques.
Les trois Grands sont des frères ennemis. La géopolitique du XXIe siècle ressemblera bien au 1984 d’Orwell, si ce n’est qu’au lieu de trois puissances mondiales (l’Océania, l’Eurasia et l’Estasia) nous avons trois zones découpées suivant les longitudes, dominées respectivement par l’Amérique, l’Europe et la Chine. Dans un monde globalisé, il n’est pas de géographie intouchable. C’est pourquoi, ouvertement ou non, la Chine et l’Europe mettront leur nez dans l’arrière-cour des Etats-Unis, l’Amérique et la Chine rivaliseront pour les ressources africaines dans la périphérie méridionale de l’Europe (http://tontondaniel.over-blog.com/article-5652102.html), et l’Amérique et l’Europe chercheront à tirer profit de la croissance rapide des pays situés dans la sphère d’influence de la Chine. La mondialisation est l’arme de prédilection : le terrain de bataille est ce que j’appelle le “deuxième monde”.


C’est le marché géopolitique qui décidera


On ne manque pas de statistiques pour illustrer la domination du monde par les Etats-Unis : nos dépenses militaires, notre part dans l’économie mondiale, etc. Mais d’un côté il y a les statistiques et de l’autre les tendances. Pour saisir la rapidité du déclin américain, j’ai passé les deux dernières années à voyager dans une quarantaine de pays dans les cinq régions stratégiques de la planète, le “deuxième monde” : ces pays ne font pas partie du premier monde, le noyau de l’économie mondiale, ni de la périphérie qu’est le tiers-monde.
Placés aux côtés des trois Grands, ou entre eux, les pays du deuxième monde sont ces Etats sans allégeance qui détermineront laquelle des superpuissances aura la haute main sur la géopolitique de demain. Du Venezuela au Vietnam, du Maroc à la Malaisie, les rapports mondiaux s’organiseront autour de ces trois alliances : la coalition américaine, le consensus européen ou le style consultatif à la chinoise. C’est le marché géopolitique qui décidera du meneur du XXIe siècle.
Les grands pays du deuxième monde en Europe de l’Est, en Asie centrale, en Amérique du Sud, au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est sont bien plus que des “marchés émergents”. Si on leur ajoute la Chine, ces pays détiennent la majorité des réserves mondiales de change et d’épargne. Certes, ils ne supplantent pas encore les Etats-Unis, mais ils n’en sont pas dépendants non plus. Les introductions en Bourse dans les pays dits du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) ont représenté en 2007 39 % de la totalité des capitaux levés dans le monde.
Ces pays se distinguent du tiers-monde par leur potentiel stratégique ou par leurs poids démographique ou économique. Vers qui pencheront-ils ? Un accord nucléaire entre Washington et l’Inde poussera-t-il le Pakistan vers une dépendance militaire accrue à l’égard de la Chine ? La prochaine génération de souverains arabes choisira-t-elle l’Orient ou l’Occident ? De fait, c’est le deuxième monde qui façonnera l’équilibre mondial des puissances autant que les superpuissances elles-mêmes.


Mais les risques touchent aussi l’étranger proche. La mondialisation (http://tontondaniel.over-blog.com/article-5776643.html) étend le marché géopolitique jusque dans l’arrière-cour des Etats-Unis, sapant une doctrine Monroe vieille de deux siècles. [En 1823, le président américain James Monroe prononce un discours à l’intention des Européens, affirmant que l’Amérique, du nord au sud, se trouve dans l’orbite des Etats-Unis.] En réalité, Washington n’a pu dicter sa loi en Amérique latine que lorsque ses voisins du Sud n’avaient pas de vision propre (http://tontondaniel.over-blog.com/article-4796365.html). Mais il y a aujourd’hui deux autres prétendants : Chávez et la Chine. Simón Bolívar [1783-1830] lutta pour émanciper l’Amérique du Sud de la tutelle espagnole, et c’est aujourd’hui le Venezuela – rebaptisé République bolivarienne – qui incite le continent à se faire sa place dans l’équilibre des puissances. Ces dernières années, Hugo Chávez, le militaire aux airs de clown à la tête du Venezuela, aura forcé l’Amérique à dévoiler ses cartes, bouleversant le jeu Nord-Sud à l’échelle du continent. Il donne du courage et des fonds aux dirigeants de gauche de toute l’Amérique latine, aide l’Argentine et d’autres à rembourser leurs dettes et à mettre le FMI à la porte. Et Chávez ne doit pas son ascension qu’à la seule flambée du pétrole (http://tontondaniel.over-blog.com/article-15266944.html). Il bénéficie aussi du soutien tacite de l’Europe, premier investisseur au Venezuela, et de la Chine, qui répare les plates-formes pétrolières vénézuéliennes en piteux état tout en construisant ses propres raffineries.
Mais le défi lancé par Chávez aux Etats-Unis est d’inspiration idéologique, alors que l’évolution du deuxième monde est profondément structurelle. Chávez est au pouvoir, mais c’est le Brésil qui fait à nouveau figure de leader naturel de l’Amérique du Sud (http://tontondaniel.over-blog.com/article-4833569.html). Avec l’Inde et l’Afrique du Sud, le Brésil mène la charge dans les négociations commerciales internationales, s’attaquant aux barrières douanières américaines sur l’acier et aux subventions agricoles européennes. Le Brésil est presque aussi proche de l’Europe que des Etats-Unis, et les Brésiliens tiennent autant à construire des voitures et des avions pour l’Europe qu’à exporter du soja vers les Etats-Unis (http://tontondaniel.over-blog.com/article-18881297.html). De plus, si Brasília fut un allié fidèle de Washington pendant la guerre froide, il n’a pas hésité à mettre en place une “alliance stratégique” avec la Chine. Les économies brésilienne et chinoise sont remarquablement complémentaires, le Brésil exportant minerai de fer, bois, zinc, viande de bœuf, lait et soja vers la Chine, tandis que cette dernière investit dans les barrages hydroélectriques, les aciéries et les usines de chaussures du géant sud-américain (http://tontondaniel.over-blog.com/article-5911380.html).


Des boucliers anti-impérialistes


La nouvelle carte des influences, une sorte de diagramme de Venn montrant des ensembles américain, chinois et européen se chevauchant, est difficile à lire. C’en est fini des “Ils sont avec nous” et des “C’est notre fils de p…”. [Cette phrase aurait été prononcée par Roosevelt en 1939 au sujet du dictateur nicaraguayen Somoza, qui présentait le grand avantage d’être anticommuniste : “C’est peut-être un fils de pute, mais c’est notre fils de pute.”] (http://tontondaniel.over-blog.com/article-16349497.html). L’Egyptien Hosni Moubarak, le Pakistanais Pervez Musharraf, le Malaisien Mahathir et une foule de dirigeants du deuxième monde font montre d’un talent inédit dans la manipulation : tous disent aux Américains qu’ils sont leurs amis, tout en courtisant tous azimuts.
Mieux encore, de nombreux pays du deuxième monde ont suffisamment d’assurance pour se créer leurs propres boucliers anti-impérialistes. C’est bien sûr le cas de la Russie, qui s’est discrètement et judicieusement placée pour assurer la construction du réacteur nucléaire iranien de Buchehr, se plaçant ainsi résolument aux côtés des Chinois sur la question iranienne tout en offrant aussi sa technologie nucléaire à la Libye et des armes au Venezuela et à l’Indonésie (http://tontondaniel.over-blog.com/article-14196453.html). Le deuxième monde a par ailleurs de plus en plus recours à ses fonds souverains riches de milliers de milliards de dollars pour distribuer ses soutiens, et il va jusqu’à malmener les entreprises et les marchés du premier monde (http://tontondaniel.over-blog.com/article-19037111.html). Les Emirats arabes unis (en particulier leur capitale, Abou Dhabi) (http://tontondaniel.over-blog.com/article-6003373.html - http://tontondaniel.over-blog.com/article-6013015.html), l’Arabie Saoudite et la Russie ne cessent de monter dans le classement mondial des détenteurs de devises et sont prêts à prendre des parts plus importantes dans le capital des banques et des compagnies pétrolières occidentales. Le fonds souverain de Singapour suit aujourd’hui le même chemin.


Comprenons-le : pour le deuxième monde, “mondialisation” n’est pas synonyme d’“américanisation”, loin s’en faut. La priorité de ces nouveaux pays n’est pas de devenir les Etats-Unis, mais de réussir par tous les moyens.


Le monde non américain


Karl Marx et Max Weber dénoncèrent tous deux les cultures de l’Extrême-Orient en raison de leur nature despotique, agraire et féodale, les jugeant dépourvues des qualités indispensables à une organisation fructueuse. Oswald Spengler [philosophe allemand, auteur notamment du Déclin de l’Occident] voyait les choses autrement : selon lui, l’humanité vit et pense selon des systèmes culturels uniques, et les idéaux occidentaux ne sont ni transposables ni pertinents. Aujourd’hui, l’Asie est toujours le siège de civilisations millénaires, mais elle compte aussi plus d’êtres humains et, à certains égards, plus de capitaux que toute autre région de la planète. Avec ou sans l’Amérique, l’Asie façonne la destinée du monde – et, ce faisant, met au jour les lacunes de la grande chronique de la civilisation occidentale.
Alors que le moral des Chinois et des Européens s’affermit à chaque expansion de leur zone d’influence, celui des Américains s’étiole. L’UE reste peut-être fidèle aux principes des Nations unies que dominèrent jadis les Etats-Unis. Mais pour combien de temps continuera-t-elle à le faire, alors que ses propres critères sociaux dépassent largement le plus petit dénominateur commun ? Alors que l’Amérique est en train de revenir maladroitement au multilatéralisme, d’autres s’éloignent du jeu américain et jouent selon leurs propres règles.
L’universalisme dont se berce l’empire américain – qui veut un monde dominé par un seul et un monde où l’idéologie libérale américaine serait le fondement de l’ordre mondial – en fait paradoxalement une superpuissance de plus en plus isolée. Tout comme il existe un marché géopolitique, il existe un marché des modèles de réussite dans lequel puise le deuxième monde, avec notamment – et ce n’est pas le moindre – le modèle chinois de croissance économique sans libéralisation politique. Ce modèle est en soi un affront à la théorie occidentale de la modernisation [voir CI n° 902, du 14 au 20 février 2008]. Comme l’observait l’historien Arnold Toynbee il y a cinquante ans, l’impérialisme occidental a fait l’union de la planète, mais cela ne signifie pas que l’Occident soit appelé à dominer éternellement, ni matériellement ni intellectuellement.
La toile de la mondialisation abrite désormais trois araignées. Ce qui fait la singularité des Etats-Unis dans cette compétition apparemment sans merci, ce ne sont pas leurs idéaux démocratiques et libéraux, mais plutôt leur géographie. L’Amérique est isolée, alors que l’Europe et la Chine occupent les deux extrémités de la vaste étendue continentale eurasiatique, centre de gravité pérenne de la géopolitique. Lorsque les Etats-Unis dominaient l’OTAN et dirigeaient un réseau d’alliances rigides autour du Pacifique, avec le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Thaïlande, ils réussissaient la tâche herculéenne de mener le monde depuis un seul côté. Aujourd’hui, leur présence en Eurasie est très clairsemée ; ils sont mis de côté par l’UE et la Turquie, sont persona non grata dans la plupart des pays du Moyen-Orient et ont beaucoup perdu de la confiance de l’Asie de l’Est. L’Amérique doit accepter cette réalité et s’y adapter. Maintenir l’empire américain ne peut qu’avoir un prix toujours plus lourd en termes tant humains que financiers. Et l’Histoire nous montre que ce genre d’efforts est voué à l’échec.


Des mesures pragmatiques et progressives


Ni la Chine ni l’Union européenne ne reprendront le rôle de leader unique des Etats-Unis ; les trois puissances s’affronteront simplement pour étendre leur propre influence. L’Europe fera la promotion de son modèle d’intégration supranationale comme moyen de résoudre les différends au Moyen-Orient et d’organiser l’Afrique. La Chine travaillera à l’expansion d’un consensus fondé sur le respect de la souveraineté et les bénéfices économiques réciproques. Que fera l’Amérique pour sauvegarder ses positions ?
Mettez-vous dans la peau de l’expert. Comme conseiller du prochain président, quels seraient vos premiers conseils ? Primo, déployer la “piétaille” – comme Arnold Toynbee appelait les fantassins chargés de diffuser les valeurs de l’empire. L’Europe ne renforce-t-elle pas son corps diplomatique, tandis que la Chine déploie ses fonctionnaires à la retraite, ses forçats et ses professeurs de chinois ? Il nous faut un Peace Corps [volontaires indépendants de Washington] dix fois plus fourni qu’à l’heure actuelle, mais aussi des échanges universitaires, des programmes d’enseignement de l’anglais et des formations professionnelles sur le terrain à l’étranger, avec le soutien financier des entreprises.


Nous devons aussi mettre sur pied un complexe diplomatico-industriel. L’Europe et la Chine savent bien comment faire travailler ensemble gouvernement et monde des affaires (http://tontondaniel.over-blog.com/article-13268212.html). La politique étrangère américaine ne doit pas se résumer à ce que fait le gouvernement des Etats-Unis. Après tout, l’UE est déjà le plus important donateur d’aide humanitaire de la planète (http://tontondaniel.over-blog.com/article-4786719.html), et la Chine progresse aussi dans ce domaine. Et chacune de ces puissances dispose d’une population plus nombreuse que les Etats-Unis. Notre arme secrète doit être le peuple américain lui-même. Les fondations et les ONG, en particulier les fondations Gates et Ford, distancent largement leurs homologues européennes en termes de contributions humanitaires. Si, indépendamment du gouvernement, ces organisations privées envoient un nombre croissant de bénévoles américains et des fonds pour mener une “diplomatie par l’action”, la diplomatie officielle roulera toute seule.
Deuxièmement, il faut faire en sorte que l’économie mondiale roule pour nous. En ressuscitant les économies européennes, le plan Marshall visait aussi à créer un marché pour les exportations américaines. Aujourd’hui, avec l’effondrement du dollar et le déclin de notre base industrielle, on constate aussi que nous chutons dans d’autres domaines : notre enseignement scientifique, l’Internet haut débit, nos soins de santé (http://tontondaniel.over-blog.com/article-4292657.html), notre sécurité… La seule solution est d’injecter des capitaux internationaux, en particulier asiatiques, dans nos infrastructures publiques, et ce afin de créer les emplois et les plates-formes technologiques nécessaires pour que l’innovation américaine reste à la pointe. La mondialisation n’offre d’excuses à personne ; soit nous la maîtrisons, soit nous en devenons la victime.
Troisièmement, on convoque un G3 des trois Grands (http://tontondaniel.over-blog.com/article-6754964.html). L’ordre du jour ? Voici les enjeux sur lesquels des compromis sont nécessaires : changement climatique (http://tontondaniel.over-blog.com/article-14659925.html - http://tontondaniel.over-blog.com/article-13675500.html), sécurité énergétique, prolifération des armes (http://tontondaniel.over-blog.com/article-17847996.html) et Etats voyous. Il faut offrir davantage de technologies vertes à la Chine, en échange d’une diminution de ses ventes d’armes (http://tontondaniel.over-blog.com/article-6985967.html) et du retrait de son soutien aux tyrans soudanais (http://tontondaniel.over-blog.com/article-6389673.html - http://tontondaniel.over-blog.com/article-6431832.html) et à la junte birmane. Il nous faut aussi, avec les Européens, faire des offres massives et irrésistibles aux peuples iranien (http://tontondaniel.over-blog.com/article-12561731.html), ouzbek et vénézuélien. Car, je vous l’assure, un changement de ton à l’Ouest pourrait donner des sueurs à la Chine. Espérons que le prochain président des Etats-Unis le comprendra."


(Auteur Parag Khanna - Extrait du livre "The Second World: Empires and Influence in the New Global Order", publié par Random House) 


Tonton Daniel

 

Rédigé par tonton daniel

Publié dans #USA

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