Bonjour à tous
Voici encore un article édifiant et passionnant, écrit par Tony Dokoupil pour Newsweek, et repris par Courrier International n° 943 du 27 novembre 2008. Où l'on a confirmation de la crise
financière et de la crise de la consommation aux Etats-Unis. Verrons-nous un jour le forum des Halles à Paris ou le centre commercial des 4 temps à La Défense complètement désertés ?
"ÉTATS-UNIS • Les centres commerciaux ne font plus rêver
Symboles de l’American way of life, les galeries marchandes qui se sont multipliées depuis cinquante ans attirent de moins en moins de chalands. La crise et de nouveaux modes de consommation
expliquent ce désamour.
Quelque chose est en train de pousser dans le paysage bucolique des Meadowlands du New Jersey, à une quinzaine de kilomètres à peine à l’ouest de Manhattan. Ce qui sort de terre est un monstre
créé de la main de l’homme, le plus grand et le plus cher de tous les centres commerciaux jamais bâtis aux Etats-Unis. Le Xanadu, qui devait ouvrir ses portes au mois de novembre, ne sera
finalement pas achevé avant l’été 2009. Procédures judiciaires, querelles politiciennes et retards de chantier ont pratiquement doublé le prix de revient de ce centre commercial dont la facture
totale s’élèvera à 2,3 milliards de dollars [1,8 milliard d’euros]. Lorsqu’il sera achevé, ce “centre commercial et de loisirs” qui s’étendra sur près de 800 mètres sera un véritable complexe de
divertissements, à mi-chemin entre Las Vegas et Disneyland, avec la grande roue la plus haute du pays et la première piste de ski artificielle en intérieur. Il y aura aussi une double plateforme
de saut en chute libre, un centre de surf en intérieur, une mini-ville pour enfants, une voûte numérique – et, tout de même, quelque 200 boutiques.
Aucune galerie marchande n’a ouvert ses portes en 2007
Le projet est déjà époustouflant par son ampleur et son échelle. Mais, si le Xanadu est un lieu véritablement extraordinaire, c’est parce qu’il arrive au moment même où les bons vieux centres
commerciaux – l’une des institutions les plus américaines qui soient – sont à l’agonie, si tant est qu’ils ne soient pas déjà morts. Les galeries commerciales moribondes n’ont pas échappé aux
analystes du secteur et aux sites Internet comme "Deadmalls.com", qui présente des photos de centaines de galeries marchandes désormais à l’abandon. Mais ce qui n’était il y a encore quelques
mois qu’un ensemble de signes inquiétants semble désormais une tendance établie. Pour la première fois depuis un demi-siècle, aucune galerie marchande n’a ouvert ses portes dans le pays en 2007,
un sérieux déclin comparé au milieu des années 1990, quand, selon Ellen Dunham-Jones, professeur à l’université Georgia Tech, plus de 140 nouveaux centres commerciaux sortaient de terre chaque
année. Aujourd’hui, poursuit-elle, près d’un cinquième des 2 000 plus grands centres commerciaux du pays sont en train de péricliter et pas moins de 150 000 boutiques, parmi lesquelles certaines
appartiennent à des enseignes phares, comme Gap ou Foot Locker, fermeront leurs portes en 2008.
Reste à déterminer la cause de ce malaise. Après tout, les centres commerciaux font partie du paysage américain depuis plus de cinquante ans. Certains attribuent leur recul à la cannibalisation
du commerce de détail [par les hypermarchés], à la repopulation des villes et aux problèmes posés par les gangs de banlieues. Le dérapage économique actuel ne contribue sans doute pas non plus à
remplir les boutiques et à attirer les commerçants. “Le centre commercial est mort, amen”, ironise Bill Talen, alias le Révérend Billy de la Church of Stop Shopping [Eglise de
l’anticonsommation], un mouvement laïque visant à exorciser le consumérisme de la vie quotidienne. Les tactiques du révérend sont peut-être extrêmes – il est connu pour bondir sur les comptoirs
dans le but d’“exorciser” les caisses enregistreuses –, mais son message de modération se propage de plus en plus.
Tandis que les gens fuient les centres commerciaux, beaucoup se rabattent sur des circuits de vente alternatifs. L’Armée du Salut a ainsi vu son chiffre d’affaires augmenter de 15 % dans
certaines régions, alors que le Freecycle Network, un réseau de vente d’objets d’occasion, a vu ses effectifs passer de 40 adhérents à 6 millions depuis sa fondation, en 2003. Cette association
déclare sauver chaque jour 500 tonnes d’objets de la décharge pour leur donner une deuxième vie. The Compact, un autre mouvement de promotion de l’occasion dont les membres s’engagent à ne rien
acheter de neuf pendant un an, revendique aujourd’hui plus de 10 000 membres, contre une dizaine à peine à l’époque de sa création, en 2004. Et même ceux qui continuent d’acheter du neuf ont
modifié leur comportement. Une étude de l’agence de publicité Alloy Media and Marketing a révélé que près de 40 % des personnes âgées de 18 à 30 ans préfèrent aujourd’hui les marques affichant
leur “conscience sociale”, c’est-à-dire produisant de façon écologique et équitable.
“Tout est question de mœurs”, explique Donna Daniels, ancienne anthropologue à l’université Duke et aujourd’hui membre du cabinet conseil Iconoculture, spécialisé dans le commerce de détail. Avec
ses collègues, elle suit depuis des années l’ascension de ce qu’elle appelle la catégorie de consommateurs socialement frugale – c’est-à-dire des gens qui achètent moins, non pas parce qu’ils ont
des problèmes de trésorerie, mais pour ne pas se faire remarquer et respecter les contraintes d’autrui. D’autres spécialistes, comme le sondeur John Zogby, souligne une “évolution spectaculaire”
des besoins et des attentes des Américains moyens, en particulier des moins de 30 ans. Dans son livre The Way We’ll Be [“Ce que nous deviendrons”, éd. Random House, 2008, non traduit en
français], il affirme que les gens qui, il y a quelques années encore, hantaient les galeries marchandes sont en train d’apprendre à “se débrouiller avec moins et se rendent compte qu’ils y
trouvent un certain bien-être”.
De nouveaux consommateurs “vert très foncé”
Pour survivre à cette nouvelle ère d’austérité, de nombreux centres commerciaux essaient de se donner une image de centres bon marché – mettant en valeur leurs enseignes à bas prix lorsqu’ils en
ont ou en s’efforçant de les ajouter à leur offre s’ils n’en ont pas encore. Le retour de bâton consumériste est même devenu un thème de prédilection en politique, dans les affaires et dans les
films. Pendant la campagne présidentielle, les candidats John McCain et Barack Obama ont tous deux dit très franchement aux Américains qu’ils devraient revoir leurs habitudes de consommation,
emprunter moins et épargner davantage. Les spécialistes de marketing, toujours prêts à mettre un nom sur un phénomène générationnel, se sont engouffrés dans la brèche : beaucoup identifient
aujourd’hui un groupe en marge du mouvement écologique “vert”, qu’ils appellent les “vert foncé” et les “vert très foncé”.
Les promoteurs s’adaptent à l’air du temps. Ils s’efforcent de regagner des clients réticents avec de nouveaux “lifestyle centers” [centres de vie], des complexes commerciaux proposant aussi des
appartements résidentiels, des parcs et des promenades – un cadre idéal pour intégrer harmonieusement le shopping à la vie quotidienne. Ces structures se développent plus vite que jamais : 37
nouveaux “centres de vie” ont vu le jour en 2007. Un exemple de ce nouveau type de centre commercial, rompant brutalement avec les galeries marchandes égrenant à l’infini des enseignes de
prêt-à-porter et de restauration, est apparu l’an dernier en Californie du Sud. Ce non-centre commercial, baptisé The Americana at Brand, ressemble davantage à un décor de cinéma qu’à une galerie
marchande classique. Il est organisé comme une véritable petite ville, avec un tramway, une pharmacie et des rues piétonnes qui rappellent les quartiers les plus pittoresques de La
Nouvelle-Orléans ou de Boston".
Tonton Daniel