Bonjour à tous
Oubliée de tous quinze ans seulement après sa disparition en 2005, la romancière et intellectuelle Françoise d'Eaubonne revit aujourd'hui sous la plume de l'auteure et journaliste Élise Thiébaut qui lui consacre une biographie passionnante, "L'Amazone verte", portrait parfois à charge mais toujours extraordinaire. Françoise d'Eaubonne, c'est d'abord un don précoce pour l'écriture, une formidable érudition et une bibliographie très variée regroupant poèmes, essais, biographies, romans érotiques, d'anticipation et de science-fiction, c'est aussi une personnalité complexe, haute en couleurs, pleine d'incohérences et de contradictions, des convictions radicales, des engagements sans concessions et des vies aussi nombreuses qu'incroyables.
Jugez plutôt : résistante pendant la seconde guerre mondiale, membre du Parti communiste français de 1945 à 1956, membre du Conseil national des écrivains en 1953, signataire en 1960 du "Manifeste des 121" sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, cofondatrice du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) à la fin des années 1960, engagée pour le droit des prisonniers et contre la peine de mort dès 1960, signataire du "Manifeste des 343 salopes" pour le droit à l'avortement en 1971, cofondatrice la même année du Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR) bien qu'elle-même hétérosexuelle, lanceuse de "l'appel à la grève de la procréation" en 1974, activiste poseuse de charges explosives sur le chantier de la centrale nucléaire de Fessenheim en 1975, secrétaire générale de SOS Sexisme en 1988, Françoise d'Eaubonne sera aussi invitée en 1977 par Jacques Chancel pour sa "Radioscopie" et en 1978 par Bernard Pivot pour "Apostrophes" avant d'intervenir comme critique littéraire sur plusieurs "radios libres" après 1989 et d'être nommée Chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres !
Féministe de la première heure mais rejetant tout communautarisme, Françoise d'Eaubonne créera en 1974 le mot "écoféminisme" et en 1978 l'association "Écologie et Féminisme" afin de rapprocher deux concepts a priori étrangers, la destruction de la Nature et l'oppression des femmes, les hommes ayant fait selon elle "à la fois main basse sur le ventre des femmes et sur les ressources naturelles" ! En regroupant viols, incestes, inégalités, violences, avortements clandestins, surpopulation, guerres de territoire, pollutions industrielles, épuisement des ressources, péril nucléaire, destruction des écosystèmes et déforestation de l'Amazonie, l'auteure du livre "Le féminisme ou la mort" (1974) va rallier sous sa bannière et dans une convergence de luttes tous les anti-systèmes, homosexuels, féministes, anti-capitalistes ou écologistes contre la "tyrannie de l'hétérosexualité", le patriarcat, la domination masculine et le "lapinisme phallocratique" à l'origine de tous les maux subis à la fois par les femmes et par la planète.
Parmi ses solutions et ses combats, le droit à l'enseignement, la décroissance démographique (par liberté et par choix car elle reste opposée au malthusianisme), la destruction de la structure familiale traditionnelle, le partage du pouvoir politique et la prise en main de la démographie par les femmes. Il faut laisser les femmes décider elles-mêmes, individuellement ou collectivement, ce qu'elles veulent faire de leur corps et leur confier les rênes de la démocratie. Quant aux moyens d'y parvenir, Françoise d'Eaubonne, adepte de la lutte armée, de l'activisme politique et de la révolution permanente, revendiquera toujours une violence légitime et indispensable. Pas de quoi rassurer tous ces messieurs !
Avec son légendaire franc-parler, qu'aurait dit aujourd'hui l'Amazone verte Françoise d'Eaubonne, militante libertaire, provocatrice, révoltée, passionnée, orgueilleuse et extrémiste, du wokisme, de la cancel culture, de la théorie du genre ou du mouvement #MeToo ?
Tonton Daniel