Bonjour à tous
Selon le neurologue Frédéric Flamant, directeur de recherche à l'INRA et docteur à l'Institut de génomique fonctionnelle de Lyon, la ola dans les stades ne tournerait pas dans un sens aléatoire mais le plus souvent dans le sens horaire ! Point de départ d'une enquête passionnante développée en 2016 dans "La science insolite de l'asymétrie", cette asymétrie comportementale s'expliquerait par le fait que nous avons tous un oeil "directeur" induisant une dominance oculaire, phénomène lui-même conséquence d'une asymétrie du fonctionnement cérébral. Mais notre cerveau est loin d'être le seul à présenter une asymétrie...
A l'échelle macroscopique, l'asymétrie anatomique et physiologique naturelle commune à de nombreuses espèces est fréquente, morphologie des poissons plats, enroulement de la coquille des escargots vers la droite, décalage des oreilles internes chez les oiseaux nocturnes et les cétacés, position du coeur à gauche et implantation capillaire en spirale vers la droite au sommet du crâne chez les humains ! A la recherche des causes de cette asymétrie physique, l'auteur évoque les chromosomes dont l'expression de certains gènes entraîne la production de protéines capables de créer une latéralité gauche puis une rupture de symétrie du corps et du cerveau. Parfois, ce "mécanisme universel" se dérègle à cause d'une mutation d'origine naturelle ou environnementale et provoque chez l'Homme un situs inversus (thorax inversé), chez l'escargot un enroulement de sa coquille vers la gauche (un sur 10.000 environ) ou chez certains oiseaux ou papillons une gynandromorphie, apparition rarissime et simultanée de caractères sexuels mâles et femelles.
A l'échelle moléculaire, les protéines, asymétriques par nature car composées de longues chaines d'atomes, s'enroulent souvent de manière hélicoïdale. Certaines molécules dites "chirales" présentent deux variétés inversées en miroir ou "éniantomères", aux propriétés différentes malgré une même composition chimique. Pour les distinguer, il faut examiner leurs propriétés optiques : l'une, dite D ou "dextrogyre", dévie la lumière polarisée vers la droite, l'autre, dite L ou "lévogyre", vers la gauche. Formées naturellement dans l'Univers ou par synthèse chimique en laboratoire, les deux formes L et D sont toujours en égales proportions. Or, sans qu'on sache pourquoi, la vie terrestre n'utilise qu'une seule forme de chiralité : les acides aminés qui entrent dans la constitution des protéines, bases des structures du vivant, n'existent que sous la forme L (à l'exception de la glycine non chirale), tandis que les sucres de l'ADN n'appartiennent qu'à la forme D. Ainsi, la chaine d'ADN tourne exclusivement vers la droite et les conséquences biologiques de cette mystérieuse "homochiralité du vivant" sont multiples, les systèmes biologiques dépendant directement de la forme des molécules pouvant leur être administrées.
Parmi les paires d'éniantomères, certaines révèlent des propriétés très différentes, voire opposées. Ainsi, en parfumerie, quand les deux formes du limonène donnent les arômes de citron et d'orange, l'un des énantiomères de la carvone possède une odeur caractéristique de fenouil alors que sa "molécule miroir" développe un arôme puissant de menthe verte ! De même, seul un éniantomère de l'aspartame est utilisé, l'autre ayant un goût amer. Dans l'industrie, l'énantiomère d'un herbicide très toxique peut se révéler totalement inoffensif grâce à la configuration spatiale différente de son principe actif. Certaines bactéries du sol ne digèrent parfois qu'une forme d'herbicide, effet qui peut induire de graves pollutions phyto-sanitaires. Un autre exemple dramatique est celui du thalidomide, substance vendue et utilisée comme sédatif dans les années 1960 mais dont un des éniantomères a provoqué de nombreuses malformations de foetus chez des femmes enceintes.
Mais d'où vient cette asymétrie, des protéines en particulier et des molécules en général ? Réponse de Frédéric Flamant : de l'asymétrie des atomes qui les composent, voire même de l'existence de particules élémentaires chirales au sein même de ces atomes ! Alors que la symétrie d'un noyau atomique est garante de sa stabilité (celui d'un élément radioactif présente une dissymétrie), l'asymétrie de l'atome de carbone, brique élémentaire du vivant, est connue depuis longtemps. On sait peu néanmoins que sa forme dextrogyre n'existe pas naturellement au profit de la forme lévogyre, la seule qui permet un enroulement stable de chaines carbonées aux liaisons chimiques avec des atomes d'oxygène et d'hydrogène. D'autres scientifiques en revanche, se basant sur les découvertes de Faraday au XIXe siècle, émettent une hypothèse très différente en évoquant des forces extérieures : l'asymétrie du vivant s'expliquerait selon eux par l'influence du milieu stellaire ! Le rayonnement ultraviolet émis par des étoiles massives et dévié par des champs magnétiques aurait séparé les deux formes L et D lors des premiers temps de notre Univers. Afin de découvrir des biosignatures et une vie extra-terrestres, des astronomes européens ont d'ailleurs mis sur pied en 2021 le projet Mermoz basé sur la détection d'une polarisation circulaire de la lumière réfléchie par des exoplanètes et causée par l’homochiralité de tout matériau biologique !
Avec précaution, l'auteur précise en fin d'ouvrage que beaucoup de questions restent sans réponse et que sa théorie "atomique" ne repose sur aucune preuve empirique. "La symétrie est la manifestation suprême de la beauté" aurait écrit le philosophe Erasme au XVe siècle. Hélas pour lui, des atomes aux galaxies en passant par les cellules et la ola dans les stades, tout dans l'univers se révèle asymétrique. La beauté n'est donc pas forcément symétrique et mathématique... mais ceci est un autre débat !
Tonton Daniel
Parmi les différentes sources en complément du livre de Frédéric Flamant :
Sciences et Avenir n°881 - Juillet 2020 (Les escargots gauches naissent du hasard)
Sciences et Avenir n°846 - Août 2017 (Un regard nouveau sur le vivant)
Sciences et Avenir - Janvier 2000 (Question de forme)
Sciences et Avenir Hors série - Octobre 2011
Sciences et Avenir n°831 - Mai 2016 (Sur la piste des premières molécules)
Sciences et Avenir - Octobre 2000 (Droite, gauche, le choix de la nature)
Ciel et espace - Septembre 2014 (L'asymétrie du vivant vient-elle des étoiles ?)
Ciel et Espace n°573 - Octobre 2020
https://nccr-planets.ch/fr/blog/2021/06/18/signature-de-la-vie-mesuree-depuis-les-airs/