Bonjour à tous
Vie privée opposée au regard public, secret opposé à la transparence, notre Société a été fondamentalement modifiée ces dernières années par les technologies de l'information et de la
communication, entrainant un basculement radical de nos modes de vie et de nos manières de penser.
Complément de mes articles sur le dedipix, le sexting, le site chatroulette.com et ... sur la fable du grillon (!), le papier suivant, signé par le journaliste québecois Josh Freed pour "The
Gazette", est une analyse sociologique extraordinaire et pleine d'humour permettant de mieux comprendre les nouveaux conflits entre générations.
Alors, grillons et papillons, pour vivre heureux, faut-il vivre caché ?
"Les plus jeunes s’exhibent sans crainte sur Internet, à la grande perplexité de leurs parents.
Quand l’envie vous prendra de faire un barbecue sur votre balcon en slip de bain, pensez-y à deux fois, car il se pourrait que la Terre entière vous regarde. Google, qui proposait déjà des vues
aériennes, parcourt à présent les rues de nos villes avec Street View, en photographiant nos maisons, nos voitures et quiconque se trouve dans le voisinage à ce moment-là. Les jeunes cyberfans y
voient un nouvel outil amusant pour étaler un peu plus nos vies au grand jour. Mais, pour beaucoup de gens plus âgés, c’est une nouvelle atteinte possible à la vie privée, un risque
supplémentaire d’être filmé à l’entrée d’une réunion des Alcooliques anonymes ou d’une consultation sexologique.
C’est aussi un symptôme du plus grand conflit générationnel depuis des décennies, celui qui oppose la “génération parents” à la “génération transparents”. La première protège son intimité jusqu’à
l’obsession ; la seconde sait à peine ce que vie privée veut dire.
Paranos à l’idée de faire circuler la moindre information sur eux
La génération transparents se compose essentiellement de jeunes qui ont toujours vécu sous le regard public depuis l’échographie de leur embryon, à huit semaines. Ils adorent partager leur vécu –
leur journal intime, la liste de leurs petit(e)s ami(e)s, leurs dernières photos de vacances – avec la Terre entière, sur des sites tels que MyFace ou Spacebook.
Nous étions à peine rentrés de nos vacances en famille que mon fils de la génération transparents avait déjà mis sur Internet toutes ses photos de nous en maillot de bain. Dès que sa mère de la
génération parents l’a su, elle les a supprimées plus vite que ne l’aurait fait un censeur du gouvernement chinois.
La génération transparents adore étaler sa vie et passe son temps à envoyer aux amis des messages sur Twitter pour raconter ce qu’elle fait en temps réel :
“Slt. Suis en train d’HT du tofu (voir photo en PJ). T’es où ?
— Super ! Suis au rayon yaourts même allée que toi un peu plus loin. Suis sur ta photo.
— Ah oui ! Super ! Salut, Salut. Bisou, bisou : -)
— OK, à toute. On se retweete à la caisse.”
Pour la génération parents, toute cette transparence s’apparente à un cauchemar. C’est une génération très secrète, qui a grandi dans la foulée du maccarthysme et des micros du Watergate, et
l’idée de faire circuler la moindre bribe d’information sur eux-mêmes ou leur famille les rend paranos. Beaucoup ont peur d’effectuer des opérations bancaires sur Internet ou même d’acheter un
livre sur Amazon. Jamais ils ne communiqueraient le numéro de leur carte de crédit, ni ne mettraient en ligne leur journal intime ou leurs photos. Pour eux, notre culture accro aux caméras, c’est
le Big Brother de George Orwell ; pour la génération transparents, Big Brother est le nom d’une émission sympa de télé-réalité [Loft Story en France].
Les gens de la génération parents trouvent ceux de la génération transparents naïfs : ils se dévoilent en donnant des informations sensibles qui pourraient un jour leur coûter un emploi ou leur
valoir une usurpation d’identité. Les plus vieux pensent aussi que les plus jeunes confondent amis virtuels et vrais amis, et qu’ils vont finir par se faire griller.
La vie vaut-elle d’être vécue si personne ne regarde ?
Mais, pour la génération transparents, ce sont les vieux qui sont naïfs et coincés. Pour beaucoup de jeunes, scandale et célébrité vont souvent de pair, il n’y a qu’à voir Paris Hilton, et c’est
exactement ça qu’ils veulent. Ils imaginent que le pire qui puisse leur arriver c’est que quelqu’un ressorte une photo compromettante d’eux dans dix ans. L’important, c’est de s’assurer que la
photo soit flatteuse, parce que c’est une chance supplémentaire de se faire connaître. Et puis la vie vaut-elle d’être vécue si personne ne regarde ?
La génération transparents attend avec impatience le prochain outil qui nous permettra d’exposer encore davantage nos vies. Ils rêvent déjà de Google Home View, où nous nous regarderons tous
regarder la télé ou aspirer bruyamment des spaghettis dans la cuisine, avec en option la possibilité de visionner ce qui se passe dans la chambre à coucher et la salle de bains. Ou de Google
Anatomy, où l’on pourra examiner les radios, IRM et coloscopies de ses amis. Ou de Google Ogle [mater], où l’on pourra jeter un coup d’œil plus intime sur ses amis préférés, comme c’est déjà
possible sur les nouveaux sites de sexting [où l’on s’échange des photos de soi dans des tenues ou des poses suggestives].
Il se pourrait en fin de compte que la génération parents ait raison et que les jeunes, en vieillissant, protègent davantage leur vie privée, une fois qu’ils se mettront en quête d’un emploi ou
d’un conjoint. Mais le plus probable est que le mot intimité tombe dans l’oubli, qu’il ne soit plus qu’une relique du XXe siècle, avant que la frontière entre vie publique et vie privée ne
s’estompe.
En attendant, je vais aller faire mon barbecue en veston-cravate".
http://tontondaniel.over-blog.com/article-17501433.html
Tonton Daniel