richesse oblige

Bonjour à tous

"Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits" affirmait naïvement la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en 1789... Quinze ans plus tard, le Ier Empire mettait en place le système de tirage au sort pour la conscription nationale ainsi que l'incroyable pratique du remplacement militaire pour ceux qui avaient les moyens financiers de payer un volontaire destiné à partir sous les drapeaux à leur place ! Dénoncée en 1890 par l'écrivain antimilitariste Octave Mirbeau, cette injustice sociale qui a perduré un siècle durant et qui fut organisée un temps par l'Etat à son seul profit sert aujourd'hui de fil directeur à la romancière Hannelore Cayre pour son dernier ouvrage, le cynique, brillant, ahurissant et très documenté "Richesse oblige".

Alternant les époques au fil des chapitres, l'auteure dresse l'histoire et l'arbre généalogique d'une famille terrifiante sur fond de Commune parisienne en 1870 et de 
malversations financières contemporaines. D'un siècle à l'autre, le constat est édifiant, même pouvoir effarant de l'argent, même égoïsme insupportable, même mépris de son prochain et mêmes défauts humains, mesquinerie, cupidité, bêtise, hypocrisie et laideur morale. Le remplacement militaire du XIXe siècle, "commerce des hommes" et "impôt du sang" encouragés par Thiers et Napoléon III, trouve son équivalent actuel dans les agissements financiers modernes, l'exploitation humaine, la sous-traitance industrielle et la pollution planétaire organisée. Un "cours du pauvre" évalué hier par des marchands sans scrupules et un "prix des hommes" fixé désormais par les lois du marché qui feront réagir les deux héroïnes du roman, deux éclopées de la vie devenues amies puis justicières afin de rétablir une certaine moralité à travers des actions aussi jouissives que mortelles...

Malgré une vision d'une lucidité incroyable et une analyse sociologique aussi glaçante que pessimiste, le récit d'Hannelore Cayre ne manque pas d'humour ! L'auteure dénonce dans le désordre le capitalisme, les inégalités sociales, les profiteurs de guerre, la corruption, le sort des femmes, les violences faites aux animaux et les entreprises responsables du changement climatique sans oublier les religions et "l'espoir mystificateur d'une vie meilleure après la mort pour que [les gens] acceptent leur misère présente"... 

Victimes de l'oubli et de l'indifférence générale, les innombrables fantômes de soldats remplaçants morts à la guerre flottent en silence d'une page à l'autre de ce "Richesse oblige" pour répondre à nos illusions et à nos certitudes : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ? Allons donc !"

Tonton Daniel