Publié le 6 Août 2014
Bonjour à tous
En 2010, l'écrivain-voyageur Sylvain Tesson résumait ses six mois d'isolement volontaire au bord du lac Baïkal dans son récit "Dans les forêts de Sibérie". Au programme, solitude, immobilisme, cheminement intérieur... et vodka ! "L"axe du loup", en revanche, est le récit d'un long voyage effectué en 2003 de Sibérie jusqu'en Inde en passant par la Mongolie, la Chine et le Sikkim, "sur les pas des évadés du goulag" conformément au récit de Slavomir Rawicz "A marche forcée" paru en 1956. Au programme cette fois, mouvement, rencontres, épreuves physiques... et vodka !
L'axe du loup, c'est cet axe perpendiculaire aux routes commerciales et historiques le long duquel Sylvain Tesson va voyager "comme un anglais, by fair means", à savoir à pied, à cheval et en vélo. Lui qui n'aime pas les routes "trop bien tracées" et qui "hait la vitesse" va être servi ! Le voyage commence dans le transsibérien, débute vraiment en Sibérie avec les portraits de personnages hors du commun, descendants de prisonniers ou évadés de tous genres regroupés autour de quelques verres d'une vodka contre-révolutionnaire ("Toute révolte se dissout dans l'alcool"). Il se poursuit en Mongolie avec quelques scènes surréalistes, dans le désert de Gobi, "horriblement sublime", puis sur le plateau du Tibet, à Lhassa. Le marcheur se faufile entre Népal et Bouthan avant de finir son périple en Inde avec un mot-clé pour tout passeport : liberté. Si les rencontres individuelles se font plus rares au fur et à mesure de la densification de la population des pays traversés, Sylvain Tesson reste toujours ce misanthrope pessimiste, "heureux et seul", pour qui la solitude nécessaire est "soeur de la liberté" et pour qui le temps qui passe est vaincu car "contraint de s'écouler en rond"...
Le constat sur "la laideur du monde moderne" est beaucoup plus amer que celui établi quelques années plus tard dans la solitude des forêts de Sibérie : en ville, des gamins sniffent de la colle, "les putains tapinent" sous l'oeil de fonctionnaires libidineux alors que de jeunes hooligans agressent l'étranger sans défense... Plus loin, la "libération internet" et la civilisation du plaisir menacent la réflexion et la Révolution... Le Tibet, lui, est "noir de neige"... On relèvera "la porte fermée des représentations consulaires françaises"... Un certain Islam est "un enfer à l'odeur de pisse chaude de chèvre" alors que la frustration sexuelle est "la pire métastase du cancer religieux hindou"... Quant à la destruction des Bouddhas de Bamiyan par les talibans en 2001, elle aurait selon Sylvain Tesson évité l'importation du tourisme de masse en Afghanistan ! Le lecteur appréciera...
L'aventure de "L'axe du loup" se révèle moins introspective que les six mois passés au bord du lac Baïkal. Si le discours pro-russe est parfois dérangeant, le style est toujours aussi parfait et l'humour ne manque pas. L'immensité des paysages nous fait rêver, le voyage permet des rencontres inoubliables et le récit confirme la vocation de l'auteur à l'érémitisme. Il y manque juste un peu de la sagesse et de la sérénité acquises par expérience quelques années plus tard dans les forêts de Sibérie : à son corps défendant et malgré le titre de l'ouvrage, le totem de Sylvain Tesson n'est pas un loup se déplaçant en meute mais un ours solitaire et immobile !
Tonton Daniel
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