Bonjour à tous

La vengeance est un plat qui se mange froid ! Surtout quand elle s'applique à ceux de la ferme voisine, ceux qu'on hait depuis plusieurs générations pour des raisons oubliées, ceux qui ne votent pas comme vous et qu'on accuse dans le village de toutes les horreurs !

Conte fantastique, farce cynique et récit jouissif d'une guerre entre deux familles de paysans au XIXe siècle, "La jument verte" de Marcel Aymé déborde d'humour noir, de vitalité, de concupiscence, de rut animal, le roman est une symphonie sexuelle pastorale, un tourbillon de tentations, un hymne à la Nature. Avec un langage vert, polisson et fleuri, l'auteur évoque l'hygiène intime des femmes, les "14 manières de faire l'amour", la sodomie, les plaisirs solitaires, les "raies culières", l'inceste, les "traditions érotiques familiales" transmises en héritage...

Symbole de liberté débridée peinte par un artiste de passage avec "l'essence de son plaisir", "La jument verte", c'est aussi le tableau d'une époque, la lutte politique entre républicains et cléricaux juste après la guerre de 1870, un monde cruel où la mort des enfants est inévitable et celle des vieux un soulagement, les visites aux bordels, le droit de cuissage sur les servantes, le devoir conjugal surveillé par un clergé complaisant, une communauté paysanne pour laquelle la vertu des filles est secondaire, le ventre des mères nécessairement fécond, un monde où seul existe l'amour physique et où le plus fort appliquera finalement sa vengeance à retardement par le viol de la femme de son ennemi...

Fidèle au roman de 1933 dans lequel Saint Joseph est désigné comme "patron des cocus", le film réalisé en 1959 par Claude Autant-Lara fut censuré, interdit aux moins de 21 ans partout en France et même à tout public dans certains départements ! 

Tonton Daniel

Bonjour à tous

Vous venez de vous faire larguer ? Votre famille vous ennuie ? Vos amis sont des abrutis ? Votre vie n'a plus de sens ? Et, malgré tous vos emmerdements, on vous charge de faire un discours de mariage à la fois drôle, sensible et intelligent alors que vous détestez ce genre de cérémonie, la mairie, l'église, le vin d'honneur, le repas et... la CHENILLE, ce cauchemar, cette ineptie, cette "machine à broyer les orgueilleux" ?

Vous cherchez évidemment tous les moyens de vous défiler, mensonge, accident, sabotage, absence... Mais si vous profitiez au contraire de cette occasion unique de dire à votre entourage tout ce que vous rêvez de lui balancer depuis des années ? Ou alors, vous pouvez choisir l'auto-critique publique ? Ou encore rester positif et... Mais chut ! 

Porté par Benjamin Lavernhe et Sara Giraudeau, servi par une distribution formidable et la mise en scène inventive de Laurent Tirard, "Le discours", adapté du roman de Fabrice Caro, est un film drôle, sensible et intelligent, "feel good movie" plein de (bonnes) surprises, qui pourrait peut-être vous inspirer un jour prochain ?

Tonton Daniel

Bonjour à tous

Attention, livre-culte ! "L'arbre-monde" ("The overstory") de l'écrivain américain Richard Powers a très justement été récompensé du Grand Prix de littérature américaine en 2018 et du prix Pulitzer en 2019. A travers les destins croisés de plusieurs personnages blessés par la vie et issus d'horizons différents, Richard Powers a construit un extraordinaire manifeste écologiste. Chapitre après chapitre, hommes et femmes héritiers de Muir et de Thoreau vont trouver réponses et solutions aux fléaux infligés à la Nature par leurs congénères : restauration forestière, engagement politique, algorithme informatique, conférences universitaires, oeuvres d'art et même suicide en public !

Appuyé sur les plus récentes découvertes scientifiques, le récit fourmillant d'anecdotes est construit comme un arbre, constitué d'histoires a priori séparées comme des racines mais formant plus tard tronc commun jusqu'à produire des graines minuscules pleines de promesses. Châtaignier centenaire, figuier étrangleur, séquoïa géant, gingko fossile, tremble migrant et quantité d'arbres sacrés, d'arbres sentinelles ou d'arbres témoins nous enseignent ici leur langage secret, leur communication silencieuse, leur temps différent et tous les bienfaits que ces "colonnes d'air solidifié" dispensent aux hommes depuis la nuit des temps.

Au fil des pages, Richard Powers évoque l'hypothèse Gaïa de l'écologiste James Lovelock, admire Yggdrasil, l'Arbre-Monde de la mythologie scandinave et nous rappelle qu'il n'existe pas d'individus solitaires : "Tout ce qui est dans la forêt EST la forêt" ! Il dénonce la "maladie du progrès sans remède efficace", les coupes claires et la déforestation industrielle, la disparition des forets primaires, le bilan environnemental planétaire catastrophique, mais aussi les mondes virtuels informatiques, la surpopulation, la spirale de "la croissance économique exponentielle dans un système fini", et surtout la bêtise, l'ignorance, la cupidité, la méchanceté et "l'effet spectateur" qui nous empêche de réagir à une catastrophe annoncée. Aveuglé par son pouvoir, l'homme devient peu à peu une créature insupportable et autodestructrice qui transforme hélas le monde à son image...

Voici un livre de fiction à la fois scientifique, poétique et miraculeux, un récit à la dimension universelle et philosophique, "une bonne histoire" qui fera plus et mieux pour la cause et la compréhension des arbres qu'une multitude de rapports scientifiques. L'être humain cherche aujourd'hui une solution à tous ses problèmes. La réponse est à la fois dans les livres et dans les arbres !

Tonton Daniel
 

Bonjour à tous

Il était une fois dans les années 50 une jeune fille de province, innocente et insouciante, désireuse de découvrir le monde et de quitter des parents jugés par elle fades et conventionnels. Afin de "comprendre la vie et le temps qui passe", la romancière Annie Ernaux est partie en 2016 à la recherche de cette jeune fille, celle qui fut elle-même dans une autre vie et dont elle retrace le portrait délicat soixante ans plus tard dans un nouveau récit autobiographique, "Mémoire de fille".

Photos en noir et blanc, lettres, livres et cartes postales s'ouvrent comme autant de fenêtres sur le "temps d'avant" et font ressurgir prénoms et souvenirs d'une colonie de vacances de l'été 1958 où la jeune fille romantique et délurée découvrit tout à la fois la vie en société, ses premières expériences sexuelles, la réalité d'une position sociale et la possibilité du grand amour. Quel chemin prendre quand on a dix-huit ans et aucun guide pour comprendre les autres et soi-même ?

Sans nostalgie ni regrets ni compassion, la femme âgée, témoin de son propre passé et spectatrice de "la jeune fille de 58", hésite entre indulgence, incompréhension et honte rétrospective pour les erreurs de jeunesse, les mauvaises décisions et les actes inacceptables. Travail d'introspection froid et sans jugement, "Mémoire de fille" est aussi l'occasion de dénoncer en filigrane une époque machiste, sexiste, patriarcale, la condition féminine dans les années 50, la soumission de la femme à des traditions d'un autre âge l'obligeant parfois à des avortements clandestins...

"Je" est-il un autre comme l'affirmait Arthur Rimbaud ? Est-il la somme et le résumé de nos expériences, de nos voyages, de nos lectures et des rencontres de ceux et celles qui changent sans le savoir le cours de nos vies ? Il est peut-être un personnage de roman, un travail de mémoire, une catharsis littéraire, imagine enfin celle qui contemple le chemin parcouru, qui redoute l'oubli et qui murmure désormais : "Le temps devant moi se raccourcit"...

Tonton Daniel