sexe et charia

Publié le 29 Avril 2015

Bonjour à tous

Avec son titre choc, le livre du franco-tunisien Mathieu Guidère "Sexe et charia" attire irrésistiblement les regards ! Islamologue renommé, l'auteur analyse aujourd'hui sous un angle inhabituel et parfois surprenant l'évolution de la sexualité dans le monde musulman depuis le début du Printemps arabe, cette période de bouleversements politiques, sociaux et religieux qui débuta en 2011 sous l'impulsion d'une jeunesse frustrée par des conventions pesantes et bridée par des règles de vie trop strictes. Cette volonté de liberté a très vite été canalisée par des partis religieux qui ont su, de manière très pragmatique et après avoir conquis un pouvoir politique, s'adapter aux revendications de toutes sortes, y compris féminines et sexuelles. Pour Mathieu Guidère, il s'agit d'une "révolution sexuelle toute en douceur, qui libère la nature sans accabler la culture".

Pour mieux comprendre cette période de bouleversement transitoire et instable, il faut d'abord rappeler que le monde musulman est pluriel, divers, éparpillé et mouvant, loin d'être le bloc monolithique auquel se réfèrent nombre d'occidentaux aux vues partielles et partiales. Les deux courants principaux de l'Islam, sunnisme wahhabite et chiisme, sont eux-mêmes sub-divisés en plusieurs écoles juridiques : malékisme, hanafisme, chaféisme et hanbalisme pour les sunnites, imamisme, ismaélisme et zaydisme pour les chiites. L'univers musulman est très vaste et englobe le maghreb nord-africain, le machrek oriental, l'Iran perse et des pays asiatiques comme l'Indonésie, pays musulman le plus peuplé du monde que Mathieu Guidère n'évoque pas une fois, pas plus que la Turquie ou la Malaisie. Certains régimes politiques sont théoriquement laïques, comme la Tunisie, l'Egypte, la Lybie ou l'Irak, alors que d'autres s'appuient principalement sur le Coran. Il faut aussi rappeler que l'Islam, "théologie de la gradation", s'appuie sur des textes sacrés pafois contradictoires, Coran ou Hadith, auxquels s'ajoutent dans le droit musulman consensus et raisonnement analogique permettant toutes les interprétations individuelles et collectives dans la régulation des actes personnels, y compris sexuels : de licite (halal) à illicite (haram) en passant par louable, obligatoire et blâmable. Ni géographique ni idéologique ni ethnographique ni politique, la seule unité du monde musulman est donc sans doute la langue arabe, véhicule des textes sacrés.

Plus jeune que les autres religions du Livre, l'Islam a forgé mentalités collectives et destins individuels depuis 1300 ans. Si beaucoup de pratiques ont changé en apparence depuis 2011, des pratiques d'un autre âge existent toujours dans certains pays, lapidation, crimes d'honneur, excision ou pratique de l'"allaitement de l'adulte", destinée à créer artificiellement un lien filial entre un homme et une femme, à leur permettre une fréquentation licite et donc à leur interdire l'acte sexuel. Quant aux superstitions, nombreuses sont les visites nocturnes de djinns destinées à masquer des grossesses non désirées ou des incestes... L'homophobie est toujours présente et l'homosexualité punie de mort dans certains pays musulmans alors que, dans le monde arabe, les hommes "actifs" avec un partenaire masculin "passif" ne se considèrent pas comme homosexuels mais au contraire comme des sur-mâles, dominants d'autres mâles plus faibles. Quant aux femmes violées, certaines doivent subir, au mieux, une "union de régularisation" et sont obligées d'épouser leus violeur afin de faire reconnaitre les droits de leurs enfants potentiels...

Malgré cet héritage difficile, le monde musulman a donc vécu depuis le Printemps arabe deux révolutions simultanées, religieuse et sexuelle, a priori incompatibles, mais évoluant de facto en parallèle sans trop de problèmes : "selon la théologie islamique, la copulation est un besoin naturel chez l'homme et chez la femme". La polygamie et les certificats de virginité avant mariage coexistent désormais avec les nouvelles technologies, internet et la puissance des réseaux sociaux. Pour exemples de modernité, les applications pour mobiles d'"information en temps réel sur les nouveautés en matière de fatwas sexuelles" ou les nouvelles formes d'union acceptées, voir proposées, par des théologiens pragmatiques opposés à un Coran traditionnel, dogmatique et idéologique. Si le mariage est toujours considéré par les musulmans comme une institution sociale plutôt qu'un critère amoureux, il existe maintenant des mariages temporaires, à durée déterminée, secrets, touristiques, "d'amitié", "du voyageur" ou "à distance" (par téléphone, internet ou photo) permettant de "légaliser" des rapports sexuels hors mariage conventionnel. Sans oublier le "mariage du plaisir" apparu dans la communauté chiite qui expliquerait les conversions récentes de nombreux musulmans sunnites...

En plus de quelques blogueuses musulmanes aussi dénudées qu'anecdotiques, on trouve aujourd'hui sur internet quantité de sites et de forums en arabe et en anglais, non censurés et souvent gérés par des théologiens officiels, où sont posées toutes sortes de questions sérieuses ou farfelues relatives aux pratiques sexuelles autorisées par le Coran : utilisation de produits fabriqués par des mécréants, rythmes solaires et lunaires, orientation géographique, utilisation de poupées gonflables, mauvaises odeurs corporelles, masturbation avec bananes importées de pays non musulmans... Les réponses, sous formes de fatwas sexuelles de rappel, d'interprétation ou de condamnation, sont parfois crues et très précises, comme la "fatwa de la carotte" permettant aux femmes seules, veuves ou délaissées, l'utilisation d'objets sexuels naturels... Comme le souligne Mathieu Guidère, depuis 2011, "la perception du corps et de la femme arabes ont évolué" !

En conclusion, après lecture, les névrosés sexuels, les extrémistes politiques et les intégristes religieux cherchant des sujets scabreux seront probablement déçus : "Sexe et charia", récit détaillé, documenté et argumenté, se révèle aussi instructif que clair et passionnant. On n'y trouvera que quelques symboles poétiques, comme celui de "la plume dans l'encrier", image qui parait sortir tout droit du moyenâgeux manuel d'érotologie arabe "Le Jardin parfumé"... Cette révolution sexuelle va-t-elle durer et encore évoluer ? Les musulmans ont coutume de répondre "Inch Allah", "Si Dieu le veut", ou encore "Mektoub", "C'était écrit". Cette dernière expression a pris depuis peu un autre sens : il n'y a plus de fatalité car il est désormais possible de faire tomber les régimes politiques et de changer sa vie quotidienne sans occulter culture ou religion. Une vraie révolution, et pas seulement sexuelle !

Tonton Daniel

Lexique de termes relevés dans "Sexe et charia" (ordre alphabétique) :

Ayatollah : signe de Dieu

Baraka : bénédiction, sagesse

Burqa : voile intégral

Cadi : juge

Charia : loi islamique

Cheikh : homme âgé et sage

Coran : récitation

Djinn : génie invisible et malicieux

Fatwa : avis théologique et juridique

Hadith : récit traditionnel rapportant les paroles du Prophète

Houris : femmes vierges et toujours disponibles au paradis

Imam : guide de prière

Islam : soumission à Dieu

Jihad : lutte, résistance

Jima : acte sexuel, copulation

Jins : sexe

Khul : droit d'auto-répudiation à l'initiative de la femme

Liwat : homosexualité masculine

Madhahib : école juridique

Madrasa : école, laïque ou coranique

Machrek : ensemble du monde arabe non soumis à des influences arabo-berbères

(Irak, Syrie, Liban, Jordanie, Palestine, Egypte, Soudan, Arabie saoudite, Emirats, Qatar, Yemen, Oman, Koweit mais pas l'Iran perse)

Maghreb : Maroc, Algérie, Tunisie, Mauritanie, Libye

Mafaqa : obligation d'entretien par le mari

Misfar : mariage temporaire

Mollah : théologien musulman chiite

Moudawana : code de la famille marocain

Moutawaa : police des moeurs

Mufti : émetteur de fatwa

Mut'a : mariage du plaisir (Sigheh en Iran)

Nikah : union, mariage

Niqab : voile couvrant le visage sauf les yeux

Ouannass : godemiché en bois utilisé au maroc depuis des siècles

Ouléma (pluriel de Alem) : théologiens musulmans sunnites

Oumma : communauté musulmane

Ourf : coutume locale

Rajm : lapidation

Salafisme : mouvement sunnite traditionaliste et fondamentaliste

Sihaq : lesbianisme

Soufisme : initiation ésotérique

Sourate : ensemble de versets du Coran

Tatliq : répudiation

Waliy : tuteur

Zawaj ourfi : mariage coutumier

Zihar : serment du dos, prononcé par le mari qui veut répudier une de ses épouses

Zina : adultère, fornication, relations sexuelles hors mariage

sexe et charia

Rédigé par tonton daniel

Publié dans #littérature, #religion, #sexualité

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