Publié le 24 Novembre 2008
Bonjour à tous
En complément de l'article d'hier consacré à la météorite canadienne, voici le passionnant article de Stepan Krivocheïev paru dans Courrier International n° 940 du 7 novembre dernier consacré à la catastrophe sibérienne de 1908 :
"Retour sur le cataclysme sibérien de 1908 :
Cent ans après l’explosion d’un gigantesque corps céleste au-dessus de la taïga, le mystère demeure : quelle était la nature exacte de cet objet ?
Un siècle s’est écoulé depuis le cataclysme de la Toungouska. Et on ne sait toujours pas avec certitude quel est le phénomène responsable de cette gigantesque explosion qui a soufflé la forêt sibérienne dans un rayon de plus 20 kilomètres. Si les premières expéditions, organisées aussitôt, savaient à peu près ce qu’elles cherchaient, l’objet de cette quête est devenu de plus en plus flou avec le temps, et plusieurs générations de chercheurs n’en sont pas venues à bout. Aujourd’hui, personne n’est en mesure de dire précisément ce qui s’est passé le 30 juin 1908. Comme aiment à le répéter ceux qui se sont penchés sur ce phénomène, “nous avons accumulé une montagne de faits, mais personne ne sait ce qu’ils signifient”.
Vitali Romeïko est l’un des spécialistes du sujet. Chercheur indépendant, il a participé à vingt-deux expéditions dans la région où est censé être tombé l’objet et a publié trois livres sur cet événement exceptionnel. En cette année de centenaire, il a bien voulu nous faire partager les informations rassemblées par tous ceux qui se passionnent pour cette histoire depuis un siècle, et nous présenter sa propre hypothèse.
Des traces sur les glaces de l’antarctique
Ce qui est certain, c’est qu’un corps céleste est entré dans l’atmosphère terrestre au matin du 30 juin 1908 et qu’une explosion a eu lieu au-dessus d’un point situé à 60° 53,7’ de latitude nord et 101° 53,5’ de longitude est. L’onde barique (l’onde de choc) a fait le tour de notre planète. Sur place, la forêt a été soufflée sur une surface de 2 150 km2, le rayonnement a carbonisé les arbres tout autour. Des phénomènes sismiques se sont produits et l’ionosphère a connu des perturbations magnétiques durant environ trois heures trente. Des anomalies optiques (“nuées argentées”) ont également été observées dans l’atmosphère. Mais il y a aussi eu une augmentation de la radioactivité, une croissance accélérée des arbres, des mutations chez les insectes, des traces chimiques dans les glaces de l’Antarctique et du Groenland…
Vitali Romeïko propose de s’arrêter sur plusieurs aspects importants et directement liés à la catastrophe. D’abord, rappelle-t-il, la surface accidentée de nombreuses planètes et de leurs satellites a depuis longtemps fait comprendre aux astronomes que tous les corps du système solaire étaient en permanence soumis à un bombardement cosmique, et notre planète comme les autres. Il n’est donc pas du tout absurde de considérer les événements de 1908 comme un phénomène classique de collision d’une comète ou d’un astéroïde avec la Terre. Mais le mystère demeure : s’agit-il d’une comète ou d’un astéroïde ?
Vitali Romeïko s’est plongé dans de vieux traités d’astronomie, et ce qu’il a découvert dans le Calendrier astronomique russe de 1910 l’a stupéfié : la comète de la Toungouska aurait été photographiée cent quatre-vingts jours avant qu’elle ne heurte la Terre. Un article très complet, intitulé “Les progrès de l’astronomie en 1908”, décrit les deux nouvelles comètes découvertes en 1908. En particulier la mystérieuse 1908a, découverte par Max Wolf, directeur de l’observatoire allemand de l’université de Heidelberg : “En photographiant le ciel à la recherche de la comète de Encke, dont le retour était attendu pour le début 1908, il a soudain aperçu, au milieu d’une multitude d’étoiles apparaissant sous forme de points minuscules, l’objet tant attendu dans son halo vaporeux. Comme la position de cette comète était quasiment celle prévue pour celle de Encke, Wolf l’a prise pour cette dernière.”
La comparaison des observations photographiques et de la trajectoire de la comète de Encke montra par la suite qu’il pouvait s’agir d’un autre objet, et les astronomes émirent plusieurs hypothèses : soit cette comète n’avait rien à voir avec celle de Encke, soit celle-ci avait éclaté, et les morceaux suivaient désormais des trajectoires différentes. Wolf aurait alors observé l’un des morceaux. A l’époque, l’insuffisance du nombre d’observations n’a malheureusement pas permis de trancher, mais il est fort probable qu’à la fin 1907, sous l’action d’un échauffement thermique ou de forces gravitationnelles, la comète de Encke se soit effectivement divisée et ait donné naissance à deux, voire trois objets indépendants, dont l’un serait entré en collision avec la Terre le 30 juin 1908.
Le plus étonnant est que, plus de soixante ans plus tard, deux astronomes – l’un soviétique et l’autre tchécoslovaque – identifièrent tous deux, sans ce concerter, la comète de Encke comme possible responsable de l’explosion au-dessus de la Toungouska. L’astronome tchécoslovaque Lubor Kresak calcula même, en 1978, que le fragment de la comète de Encke qui constituerait la fameuse “météorite de la Toungouska” aurait heurté la Terre à une vitesse approximative de 31km/s.
Vitali Romeïko affirme pour sa part qu’un ensemble de preuves indirectes incrimine un fragment de la comète de Encke. Outre celles déjà citées, on peut noter l’absence de gros éclats de matière cosmique sur le lieu de la catastrophe et la découverte dans la tourbe de la Toungouska d’une substance proche de la glace dont se composent les comètes.
Tentons donc, avec l’aide de Vitali Romeïko, de reconstituer à peu près le film des événements : un peu plus de six mois avant la collision, sous l’effet d’un échauffement thermique, la comète de Encke, petite mais assez connue, se scinde en plusieurs morceaux quasiment sous les yeux des astronomes. Ce genre de chose n’est pas rare. En juillet 1994, la comète Shoemaker-Levy a fait de même, et, au printemps 2006, de nombreux fragments de la comète Schwassmann-Wachmann ont frôlé la Terre. La comète de 1908 nous arrivait du côté du Soleil, ce qui ne permettait pas de l’observer durant la nuit, et donc de prévoir une collision avec notre planète. Le 30 juin, vers 7 heures du matin heure locale, un fragment d’environ 100 à 150 mètres de diamètre entre dans l’atmosphère à une vitesse de l’ordre de 30 km/s, dans une région située à l’extrémité nord du lac Baïkal, soit à 700 ou 760 kilomètres de l’épicentre de l’explosion. Le noyau de la comète a pu se présenter sous la forme d’un bloc de glace constitué essentiellement de composés volatils – formés à partir d’hydrogène, de carbone, d’azote, d’oxygène – et de poussière minérale. L’objet se serait dirigé vers le nord-ouest.
Le noyau de glace, doté d’une énorme réserve d’énergie, a pénétré profondément dans l’atmosphère terrestre avant d’éclater, à une altitude comprise entre 5 000 et 10 000 mètres. En progressant dans l’atmosphère, il s’est beaucoup fragmenté, se chargeant en électricité statique. Près du village de Vanavara, il a explosé, anéantissant une grande quantité d’arbres. Des jets de gaz chauffés à blanc et peut-être même des morceaux de glace ont heurté le sol à une vitesse fantastique, creusant des dépressions thermokarstiques, dont l’aspect rappelle les cratères de météorites. Une partie de la matière cosmique a brûlé, et une partie a sans doute ricoché plus loin vers le nord-ouest, à moins qu’elle ne soit ressortie de l’atmosphère.
Des nuées argentées planaient sur l’Europe
La puissante explosion d’altitude a donné naissance à une catégorie particulière d’ondes (que les spécialistes de physique de l’atmosphère appellent “acoustico-gravitationnelles”) qui se sont propagées à la limite de l’atmosphère, à environ 80 000 mètres d’altitude. Elles ont manifestement formé un champ compact de nuées argentées, qui a ensuite pu être observé depuis l’Europe centrale et la Russie occidentale.
Ce scénario s’appuie pour partie sur des intuitions non étayées. Mais il est le seul, pour Vitali Romeïko, à offrir un tableau cohérent des événements. La conclusion qui en ressort est qu’il n’y a jamais eu de météorite de la Toungouska. Ce qui s’est produit il y a tout juste un siècle au-dessus des confins de la taïga et qui a bouleversé le monde serait en fait l’œuvre d’une comète ou de ses morceaux, qui, d’une façon incroyable, auraient réussi à atteindre les abords de la Terre.
Des astronomes ont calculé que si le corps céleste avait pris un peu de retard, il aurait explosé en un tout autre point : quatre heures trente plus tard, l’énorme quantité d’énergie dégagée aurait rayé de la carte une partie de la Scandinavie et du nord-ouest de la Russie, dont Saint-Pétersbourg [la capitale d’alors]. Et le centenaire que nous célébrons aujourd’hui serait d’une teneur très différente."
http://fr.wikipedia.org/wiki/Tunguska
Tonton Daniel