Publié le 1 Mai 2024
Arrivé au terme d'une existence qu'il décrit comme un "long accident", un vieil homme lucide et amer regroupe souvenirs, réflexions et confidences afin de faire renaître les "Venises" qu'il a aimées et fréquentées sa vie durant.
La ville que nous présente ce grand témoin, l'écrivain, diplomate et académicien Paul Morand, est plurielle, décor de théâtre, "cité-refuge" pour les artistes et la diplomatie française, mondaine et festive, indolente et insouciante, futile et exubérante, décadente et "androgyne". Un monde d'apparences, de frivolités mais aussi de bêtise, souvent dissimulé sous les masques du carnaval et les costumes de réceptions prestigieuses telles le Bal du Siècle donné en 1951 qui fut le dernier éclat d'une Café society moribonde.
L'érudit connait bien l'Histoire de la Ville-Etat mais, aveuglé par ses regrets et sa condition, il renonce naturellement à évoquer le visage obscur et l'inventaire sinistre de la cité, la prostitution organisée, la dictature politique, les prisons humides, les boites de dénonciation, les tribunaux de l'Inquisition, la corruption, la création du premier ghetto juif de l'Histoire...
Car Morand, plume brillante et féroce, superficiel, vénal, élitiste et "partagé entre Orient et Occident" comme Venise, personnifie le côté sombre de la Sérénissime, forteresse dont la figure a si bien répondu à celle de l'ancien ministre sous Vichy, misogyne, homophobe et antisémite...
Mais le temps passe, inexorable, les fêtes somptueuses s'achèvent, les palais baroques se vident, les convives défraîchis se reposent désormais au cimetière... Les dandys et les "fonctionnaires à monocle" ont laissé place au "défilé des fantômes", hippies vulgaires, touristes incultes, "gens ordinaires", "pithécanthropes itinérants" et "travestis contemporains". Les paquebots blancs, les concertos de Vivaldi et les hôtels particuliers ont disparu, emportés par des pétroliers noirs d'huile, des sirènes hurlantes et des boutiques de souvenirs éclairées au néon. Le privilégié rempli d'amertume ne se reconnait plus dans cette cité définitivement abandonnée à la bêtise, à la laideur et à l'ignorance.
Malade et confit dans sa nostalgie, Paul Morand, dans un ultime chant du cygne, aura néanmoins une dernière vision à la fois très romantique et très orgueilleuse d'une Venise sombrant dans les flots à tout jamais, emportant avec elle (et avec lui) sa légende, son histoire et ses trésors. Le rêve a évidemment survécu à l'auteur et se réinvente aujourd'hui en permanence. N'en déplaise à l'écrivain mort et oublié de tous, la plurielle Venise se conjugue toujours au présent.
Tonton Daniel
Pour le portrait à charge :
https://larepubliquedeslivres.com/paul-morand-un-homme-meprisable-mais-quel-ecrivain/comment-page-8/
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